Le Diwane : La tradition revisitée
Mon enfance mascaréenne a été rythmée par un
événement singulier, mystérieux qui se déroulait tous les samedis et
qui se concluait en apothéose à la fin du printemps par une
procession menée par un taureau harnaché et richement enrubanné. Cet
événement, c'était le diwan. Il se tenait au village nègre (el graba).
Le maître de cérémonie, Hadj Guenga (que Dieu ait son âme), arrache
à une guitare sommaire pourvue d'une seule corde une mélopée
envoûtante à laquelle répond en contrepoint le son des karkabous.
Peu à peu, des rangs des spectateurs émergent des danseurs ou des
danseuses. Le mouvement est d'abord gracieux puis saccadé pour se
terminer en transe libératrice. Je n'ai jamais oublié ces instants
où l'Afrique Noire s'invitait dans l'Afrique Blanche jusqu'à faire
corps avec elle.Je suis d'autant plus heureux que cette tradition se
perpétue. Ce n'est pas simplement un genre musical exotique. Sa
signification est bien plus profonde. Le nom complet du diwan est en
réalité diwan Salihine, ce qui signifie réunion des gens de bien, ou
hommage aux ancêtres vertueux (ceux qu'on appelle " les marabouts "
en France). On y chante leur geste (le medh) et on appelle les
participants à s'inspirer de leur exemple en communiant dans
l'amitié des hommes et l'amour de Dieu. Les rythmes africains
syncopés viennent rappeler l'apport des Noirs à la grandeur de
l'Islam et le syncrétisme qui a été à la base du succès de cette
religion dans les temps anciens où elle s'imposait par la conviction
et non par la
force. Elle rappelle le temps où
l'Islam prônait l'amitié entre les hommes, quelle que soit leur race
ou leur religion. C'est le chant de la fraternité, du bonheur du
" vivre ensemble " incompatible avec le développement de la
solitude, marque de notre temps. C'est le chant entêté de
l'ouverture vers les autres, en ces temps où on électrifie les
frontières et on cultive la peur de l'Autre. C'est le chant de la
confiance dans la bonté ultime de l'Homme. C'est le chant de
l'exaltation du versant mystique de la religion, celui de la quête
individuelle de la Vérité, hors des chapelles et des prêches
enflammés des porteurs de haine.El Gaada s'inscrit dans cette
tradition. Plus encore, elle en fait une arme pour mener le combat
de l'heure, celui de l'intégration de tous les citoyens dans la
République, celui qui promeut le métissage fécond, celui qui
pourfend le repliement mortifère. C'est à son honneur et c'est notre
bonheur…
Brahim SENOUCI,Maître de
conférences, Université de Cergy-Pontoise. Mars 2004. |